En savoir plus sur la mort...

Fait intĂ©ressant, j'ai remarquĂ© que la mort Ă©tait un thĂšme rĂ©current dans ma vie quotidienne, que ce soit Ă  la clinique, avec des patients ou dans des conversations ordinaires avec des amis et/ou des collĂšgues dans les rencontres insignifiantes de la vie. Peut-ĂȘtre parce que je lui ai ouvert une porte quand j'ai Ă©crit mon dernier texte, "Death and Dying", ou peut-ĂȘtre simplement parce qu'elle est aussi naturelle que de se rĂ©veiller tous les matins.

Le fait est que nous parlons peu ou pas de la mort réelle du corps. Dans le texte cité ci-dessus, j'ai écrit et soulevé des questions sur les nombreuses morts symboliques que nous avons dans les différentes étapes de la vie, mais ici je veux réfléchir sur cette mort qui nous emporte littéralement, cette mort qui nous prive de la présence physique de ceux qu'on aime, qui ponctue la finitude de notre corps physique et que ça fait mal, ça fait trÚs mal.



La premiÚre question est : pourquoi ne parlons-nous pas de la mort ? Pourquoi ce sujet nous dérange-t-il tant que nous préférons prétendre que nous ne connaßtrons jamais cela ?

Je n'oublie jamais qu'au début du collÚge, il y a quelques années, j'avais besoin de faire un travail sur la mort et l'un des auteurs que j'ai lu était Maria Julia Kovacs qui rapportait des récits de patients en phase terminale sur l'expérience de la mort. Je me souviens d'avoir été surpris d'apprendre que l'une des plus grandes, sinon la plus grande, souffrance pour la plupart d'entre eux était la douleur qu'ils croyaient avoir causée aux membres de leur famille à la suite de leur diagnostic de fin de vie et le chagrin qu'ils traverseraient . Cette souffrance pour faire souffrir l'autre a généré un silence et un abßme entre les acteurs. La semaine derniÚre, lors d'une conversation à la boulangerie, j'ai entendu d'une collÚgue, dont la mÚre est décédée plus tÎt cette année, qu'elle et sa mÚre n'ont pas échangé un seul mot sur la mort et la mort pendant tout le traitement et le temps qu'elles ont passé ensemble avant que la mort n'arrive.



En savoir plus sur la mort...

Si, d'un cĂŽtĂ©, nous avons la souffrance de faire souffrir ceux qui restent, de l'autre, nous avons la peur, l'inconfort, l'incapacitĂ© et tant d'autres sentiments qui empĂȘchent ceux qui resteront d'ouvrir un espace de parole et d'Ă©coute ceux qui vivent le dĂ©part. . C'est trĂšs grave! C'est quelque chose que nous devons repenser!

Il est nĂ©cessaire de parler de la mort et du chagrin que nous commençons Ă  vivre avant mĂȘme qu'il n'arrive. Vous devez entendre parler de la mort!

Elle est la condition de base de l'ĂȘtre humain, donc on peut mĂȘme se tromper en essayant de la laisser dans une piĂšce sombre, mais Ă  tout moment et sans prĂ©venir elle nous prend, envahit nos journĂ©es, mais on essaie quand mĂȘme de la repousser dans cette chambre. Alors demandez-vous, de prĂ©fĂ©rence Ă  haute voix, « Que signifie la mort pour vous ?

Proposez ce sujet dans un cercle d'amis lors d'une rĂ©union rĂ©guliĂšre et posez des questions sur ce sujet avec votre famille. Il y a tellement d'occasions d'en parler – des feuilletons tĂ©lĂ©visĂ©s, des chansons, des films, des livres, la mort de connaissances – qu'il est difficile de ne pas parler de quelque chose qui fait partie de notre routine. Étrange, c'est que nous faisons le mort face Ă  la mort.

Et cette étrangeté m'amÚne à la deuxiÚme question : lorsque nous sommes confrontés à la possibilité réelle de la mort, qu'elle soit la nÎtre ou celle d'un autre, que ressentons-nous ? Ce sentiment est-il si effrayant qu'il nous prive de mots au point de nous enfermer et de nous jeter dans un abßme solitaire ? Cherchez dans votre mémoire à quoi ont ressemblé vos rencontres avec la mort et permettez-vous de ressentir les sensations issues de ces souvenirs. Ouvrez-vous à des retrouvailles et laissez-vous surprendre par la force que la vie gagne face à la mort.


J'ai eu quelques rendez-vous. Dans le premier, j'Ă©tais un enfant et j'Ă©tais emmenĂ© Ă  une veillĂ©e funĂšbre (Ă  cette Ă©poque, elles avaient lieu dans les maisons des familles, dans leurs salons). Ne comprenant pas ce qui se passait lĂ -bas, j'ai continuĂ© Ă  jouer, jusqu'Ă  ce qu'un oncle me prenne et m'emmĂšne au cercueil pour voir la morte (c'Ă©tait la marraine de ma mĂšre, si je ne me trompe pas). Elle Ă©tait allongĂ©e lĂ , immobile et les yeux ouverts. Étrange
 TrĂšs Ă©trange de voir un mort avec les yeux ouverts. Je n'ai jamais oubliĂ© cette scĂšne. Comment est-il possible de mourir et de vivre ? AprĂšs tout, pour moi, quand j'Ă©tais enfant, avoir les yeux ouverts, c'Ă©tait ĂȘtre en vie. Bien sĂ»r, je ne voulais plus entrer dans cette piĂšce, je ressentais de la peur et de la mĂ©fiance envers cette chose qui Ă©tait en train de mourir. Mais quelques annĂ©es ont passĂ© et les veillĂ©es (plus dans les maisons) se sont rĂ©pĂ©tĂ©es quelques fois, non pas Ă  cause du dĂ©cĂšs de membres de la famille ou de connaissances, au contraire. Ma grand-mĂšre maternelle aimait aller aux veillĂ©es parce qu'ils avaient des accordĂ©onistes, des biscuits et des cafĂ©s, et c'Ă©tait une promenade Ă  la campagne. Pendant que je restais avec elle, nous marchions parfois le long de l'Avenida Saudade et le poids de ces yeux ouverts se perdait devant tant d'yeux fermĂ©s. La peur et l'Ă©trangetĂ© ont fait place aux conversations.


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Une autre rencontre a eu lieu Ă  l'adolescence, quand tout ce que nous croyons avoir, c'est une vie palpitante, des rĂȘves et des rĂ©bellions Ă  vivre intensĂ©ment. C'est une phase dans laquelle nous avons vĂ©cu le prĂ©sent avec toute la force qu'il pouvait avoir. Nous avons ri et pleurĂ© comme si c'Ă©tait la derniĂšre ou la seule fois. C'Ă©tait le temps de vivre en groupe, donc les amis Ă©taient insĂ©parables, jusqu'Ă  ce que la mort frappe Ă  notre porte et nous prenne l'un Ă  16 ans, comme ça, sans prĂ©venir, un soir, en rentrant d'un club. Et nous n'avons plus jamais Ă©tĂ© les mĂȘmes ! Brusquement, la naĂŻvetĂ© de l'Ă©ternelle jeunesse m'a Ă©tĂ© dĂ©pouillĂ©e. Comment puis-je mourir si jeune ? Comment mourir de rien, sans ĂȘtre malade ? Que voulez-vous dire Ă  seize ans voir un ami aussi Ă  seize ans dans un cercueil et l'enterrer ? Je me souviens d'avoir eu une crise de rire au milieu de la veillĂ©e. J'ai juste ri et je n'ai pas pu m'arrĂȘter. Rire du dĂ©sespoir, de la douleur, de ne pas savoir quoi faire lĂ -bas. Ce rire dĂ©nonçait la folie, la folie qui est quand une personne cesse d'exister, existe encore dans mon histoire et dans ma mĂ©moire. C'Ă©tait peut-ĂȘtre mon premier chagrin. Je me souviens comment se sont passĂ©s les jours qui ont suivi les funĂ©railles de cet ami, comment les retrouvailles du groupe ont Ă©tĂ© remplies d'Ă©trangetĂ©, de tristesse et de silence.


Maintenant, dans ma vie d'adulte, j'ai eu une rencontre sublime avec la mort, une rencontre magnifique et inoubliable qui a touchĂ© quelque chose de si profond et sacrĂ© en moi et qui m'a fait me sentir un peu intime avec elle depuis. C'Ă©tait avec mon beau-pĂšre. Nous l'accompagnions lors d'une de ses nombreuses hospitalisations. Il Ă©tait en phase terminale, allongĂ© sur son lit, sa main gauche tenant celle de son fils aĂźnĂ©, sa main droite tenant celle de son deuxiĂšme fils et, Ă  ses pieds, sa femme caressant et remerciant la vie qu'ils avaient vĂ©cue ensemble, remerciant la compagnie qu'ils avaient faite l'un pour l'autre . J'Ă©tais assis lĂ  sur le canapĂ©, regardant cette scĂšne et voyant dans l'Ă©quipement que la mort approchait. J'ai regardĂ© et ressenti l'amour, la tristesse, le soulagement, les larmes et toute la contradiction que peuvent avoir vivre et mourir. J'ai ressenti de la gratitude d'ĂȘtre lĂ , d'avoir Ă©tĂ© tĂ©moin et d'avoir vĂ©cu ce moment oĂč la mort est arrivĂ©e et a emportĂ© mon beau-pĂšre. Et il ressentait l'amour de ses enfants et de son partenaire, il savait et sentait qu'il n'Ă©tait pas seul. Il est parti aprĂšs avoir regardĂ© chacun de nous et s'ĂȘtre vu dans nos yeux, puis j'ai rĂ©alisĂ© qu'il n'y avait pas de meilleure façon de rencontrer la mort.


AprÚs ces témoignages trÚs personnels, pour clore ce texte je laisse une derniÚre question : « Si vous pouviez choisir entre une mort subite et une mort annoncée, quel serait votre choix ? ».

Je veux l'annoncĂ©. Je veux avoir la chance de dire au revoir, de transmettre ce que je ressens, de pleurer et de rire de la vie que j'ai vĂ©cue. Je veux pouvoir embrasser mon fils, mon mari et quiconque est Ă  mes cĂŽtĂ©s dans les temps Ă  venir. Je veux dire Ă  tout le monde que ça valait le coup, que c'Ă©tait beau et que, quoi qu'il nous attend, n'ayons pas peur de vivre la mort et d'en parler. Je veux pouvoir dire qu'ils peuvent souffrir et que je souffre avec eux Ă  cause de cet adieu. Je veux pouvoir leur demander de vivre du deuil, mais de continuer Ă  vivre, Ă  avancer et Ă  ĂȘtre heureux.

Mourir comme ça, de mort subite, seulement si nous allons mourir ensemble, sinon je veux vivre chaque seconde que je peux, je veux mourir d'une mort trĂšs morte, je veux la regarder dans les yeux et dire qu'elle n'est pas un monstre, mais juste un mystĂšre qui mĂ©rite d'ĂȘtre rĂ©solu. Je veux rester ici Ă  Ă©crire beaucoup, mais j'ai un dĂ©sir encore plus grand, qui est de lire ce que tu as Ă  dire sur la mort. Dites-moi! Parlez de la mort avec n'importe qui, mais PARLEZ !

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